Elevage et consommation de viande (2)

Le recoupement de plusieurs études impliquant l’Inra permet de dessiner les contours d’un régime alimentaire « durable », de bonne qualité nutritionnelle tout en préservant la sécurité alimentaire mondiale et l’environnement. Pour nos pays industrialisés, cela signifie essentiellement manger un peu moins en quantité, réduire les pertes et gaspillages, et augmenter la part de protéines d’origine végétale dans nos menus.

Le dossier de presse de l’INRA

Réduire le nombre total de calories pour les pays développés

Dans la prospective Agrimonde (2006-2011), les besoins alimentaires de la population mondiale à l’horizon 2050 ont été mis en regard avec le volume de produits agricoles disponibles. Cette prospective montre qu’il serait possible de nourrir les 9 milliards d’habitants de la planète, si on ramène la consommation moyenne par habitant et par jour à 2.000 kcal/jour/habitant soit une quantité d’aliments disponibles de 3.000 kcal/jour/ habitant.
La prospective Agrimonde-Terra (2011-2016), qui prolonge Agrimonde, nuance ce scénario. Partant du principe qu’il est difficile d’envisager un régime alimentaire unique pour tous les habitants de la terre, tant les habitudes alimentaires sont différentes, Agrimonde-Terra s’appuie sur quatre types de régime qui se déclinent selon les régions du monde en fonction de la situation actuelle et des tendances passées.

Parmi ceux-ci, un régime « sain » (Healthy) est envisagé qui, selon les régions du monde, se traduit par :

  • Un retour de la disponibilité alimentaire au seuil des 3.000 kcal/jour/habitant pour les régions se situant aujourd’hui au-dessus de 3.000 kcal/jour/habitant (Amérique, Europe, Russie, Chine, Afrique du Nord…)
  • Une augmentation de la disponibilité alimentaire à 2.750 kcal/jour/habitant pour les régions se situant en dessous de 2.750 kcal/jour/habitant (Inde, Afrique centrale et orientale …)
  • Un maintien de leur disponibilité alimentaire actuelle pour les régions se situant entre 2750 et 3000 kcal/ jour/habitant (Afrique occidentale,…)

Ce régime « sain » est inséré dans un des 5 scénarios d’usage des sols imaginés dans cette prospective.
Ce scénario, appelé « Land use for food quality and healthy nutrition », est le plus favorable au niveau de la santé nutritionnelle (équilibre alimentaire, baisse des graisses, des sucres, des produits ultra-transformés).
Il est aussi le plus vertueux sur le plan environnemental (cycle de la matière organique, émissions de GES).
Il permet de nourrir 9,7 milliards d’habitants à l’horizon 2050 sans augmentation notable des surfaces cultivées et avec une augmentation modérée des surfaces pâturées (moins de 10 %) au détriment de la forêt.

Il peut se combiner avec une diminution des pertes et gaspillages, mais doit s’accompagner de politiques publiques fortes, notamment nutritionnelles et agricoles, et d’intenses échanges commerciaux pour équilibrer les pays déficitaires. Parmi eux, le Moyen-Orient, par exemple, actuellement au maximum de sa production, dépend aujourd’hui des importations pour 50% de ses besoins, et potentiellement pour 70% en 2050.

Réduire la part de protéines animales pour les pays développés
Définir une limite supérieure à la consommation de protéines et fixer le ratio optimal entre protéines végétales et protéines animales fait débat : en 2007, l’AFSSA estimait que l’état des connaissances ne permettait pas de définir ce ratio de manière pertinente. De plus, il varie avec l’âge.

Cependant, dans nos pays développés, la consommation de protéines animales est supérieure aux besoins.
En effet, on consomme en Occident un tiers de protéines végétales (en poids) pour deux tiers de protéines animales (viande, lait, œufs, poisson), alors que les recommandations internationales préconisent plutôt que ce soit moitié moitié. Il est donc possible de réduire la part de protéines animales dans notre régime alimentaire.
C’est aussi le sens du régime « Healthy » d’Agrimonde-Terra : diminution de moitié de la consommation de produits animaux (en calories) en Europe et aux Etats-Unis et augmentation concomitante de la consommation de céréales, légumineuses, fruits et légumes.
Les politiques publiques devront inciter ces transitions avec des aides, des politiques sur les prix et par l’éducation.

Réduire la consommation de produits animaux en Europe : c’est possible !
En général, la consommation de produits animaux augmente lorsque les revenus augmentent. C’est ce qui s’est passé en Europe entre 1950 et 1980. Il existe cependant des contre-exemples : actuellement en Pologne, la consommation de viande diminue alors que les revenus augmentent.
Globalement, on observe en Europe une diminution de la consommation de produits animaux, notamment de viande bovine et ovine alors que la consommation de viande de volailles et de produits de la mer s’accroit.
La consommation européenne de protéines animales reste cependant deux fois plus élevée que la moyenne mondiale et plus élevée que les recommandations de l’OMS.

Et le fer des produits carnés?
Des travaux récents ont mis en évidence le rôle central du fer de la viande et des charcuteries dans la survenue des cancers du côlon, pour des niveaux de consommations élevés et en tout cas très supérieurs à ceux observés en moyenne dans nos pays. En effet, le fer contenu dans les globules rouges oxyde les lipides et provoque la formation d’aldéhydes qui favorisent la survenue de cellules cancéreuses dans le côlon. Cependant, avec la vitamine B12, c’est ce même fer héminique qui donne aux produits carnés leur principal intérêt nutritionnel car c’est le fer le mieux absorbé par l’organisme. Une solution consiste à accompagner la consommation de viande par des aliments naturels riches en antioxydants, comme les fruits et les légumes, tout en évitant les excès de consommation de viandes rouges et charcuteries…
On en revient à des notions de base : des repas équilibrés et variés, viande ET légumes !

La viande in vitro, une alternative possible ?
Cultiver des cellules musculaires pour produire de la viande in vitro : est-ce une solution réaliste ? De quel côté penchea balance coûts-bénéfices ?

Entretien avec Jean-François Hocquette, qui a coordonné en 2015 la publication d’une revue scientifique internationale sur le sujet pour examiner les différentes facettes de cette inovation.

Depuis la présentation en 2013 du premier steak obtenu à partir de cellules souches, la viande in vitro est parfois présentée comme une solution pour résoudre les problèmes de bien-être animal et de sécurité alimentaire, tout en préservant mieux l’environnement que l’élevage traditionnel.
Qu’est-ce que cette viande produite in vitro ?
Jean-François Hocquette : Pour l’instant, il s’agit d’un amas de cellules musculaires qui se multiplient dans des boîtes de Pétri avec un milieu de culture suffisamment riche pour permettre aux cellules de se multiplier, et qui contient pour cela notamment des hormones, des facteurs de croissance, du sérum de veau fœtal, des antibiotiques et des fongicides. Il sera donc nécessaire de produire à grande échelle tous ces ingrédients, dont certains sont précisément d’origine animale… La capacité proliférative de ces cellules souches est limitée et ne permet pas encore d’obtenir des lignées. Même si on obtient des myotubes qui se transforment en fibres musculaires, on est encore loin d’un vrai muscle, qui mêle des fibres organisées, des vaisseaux sanguins, des nerfs, du tissu conjonctif et des cellules adipeuses. Le premier steak in vitro a été assaisonné avec de nombreux ingrédients pour se rapprocher du goût de la viande (chapelure, jus de betterave, safran, poudred’oeuf, etc.)..

Quels sont les avantages de la viande in vitro par rapport à la viande d’élevage ?
J-F. H. : Sur le plan environnemental, il est difficile d’évaluer l’impact de ce procédé, car il n’existe pas encore d’usine de production de cette viande artificielle. Différentes estimations n’accordent à ce procédé qu’un impact modéré pour réduire les gaz à effet de serre et la pollution par les nitrates, et un intérêt limité quant à l’utilisation des énergies fossiles, voire très limité pour l’économie en eau. De plus, les résidus des molécules de synthèse citées ci-dessus et utilisées pour la culture se retrouveraient dans les eaux usées des usines.
Les seuls avantages indiscutables de la viande in vitro seraient de libérer des terres cultivables et d’éviter de tuer les animaux d’élevage. C’est par là-même la logique de l’élevage qui est remise en question, car les animaux sont élevés pour être mangés. Et il faut bien être conscient que si on supprime l’élevage, on supprime tout un pan de l’agriculture, avec des conséquences économiques, sociales, culturelles, environnementales que l’on a tendance à sous-estimer.

La viande in vitro représente-t-elle une solution réaliste pour l’avenir ?
J-F. H. : Pour l’instant, le coût de la production de la viande in vitro est prohibitif : 250 000 euros pour le premiersteak en 2013 ! Même si les coûts vont certainement fortement diminuer, il sera difficile de passer au stadeindustriel, à moins d’une rupture technologique. C’est difficile à prévoir mais ce n’est certainement pas pour la prochaine décennie ! La mise sur le marché risque aussi de prendre beaucoup de temps. Pour mémoire, un produit tel que le Quorn, produit à partir de mycélium de champignons, qui est plus simple sur le plan sanitaire, a mis plus de vingt ans à s’imposer sur le marché aux Etats-Unis et au Nord de l’Europe. Il faut aussi le temps de l’acceptation sociale. Un des articles de la revue considère que ce temps est largement sous-estimé, notamment dans la presse occidentale, attirée par le caractère révolutionnaire de cette innovation.
En effet, une enquête menée auprès de scientifiques et d’étudiants de tous les pays du monde montre que ces consommateurs sont très sceptiques, le prix et la qualité en bouche étant les principaux obstacles, mais aussi la balance coût/bénéfice à l’échelle collective : protéines sans animaux versus perte de culture et de ruralité, progrès scientifique versus contrôle et régulation. Il existe d’autres solutions plus accessibles à court terme pour nourrir l’humanité tout en respectant l’environnement et les animaux.

Quelles sont les solutions pour nourrir le monde ?
J-F. H. : Plusieurs solutions non exclusives et complémentaires existent. Une première solution consiste à réduire fortement le gaspillage alimentaire qui représente environ un tiers des aliments produits, ce qui est fortement recommandé aujourd’hui et encouragé par les politiques publiques. Une seconde solution serait de manger un peu moins en quantité et d’augmenter la part des protéines végétales dans nos menus aux dépens des protéines animales sans pour autant supprimer la viande de notre alimentation. Il existe des protéines de qualité dans les légumineuses, les céréales complètes et les produits simili-carnés comme le tofu. Plusieurs entreprises mettent au point des steaks végétaux ressemblant par leur goût et leur forme à la viande. Une troisième solution consisterait à diversifier les sources de protéines animales en empruntant les habitudes alimentaires d’autres cultures (autres animaux, petits mammifères, insectes, reptiles, etc) mais cela peut aussi poser des problèmes d’acceptation sociale. On doit aussi promouvoir les formes d’élevage à haute valeur environnementale, basées sur une forte autonomie alimentaire ou fourragère pour les ruminants.
Enfin, la modernisation de l’élevage, avec la sélection génétique, les économies d’échelle, devraient contribuer à couvrir la demande en produits carnés avec plus d’efficience.

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