ANIMAL, VIANDE ET SOCIÉTÉ
Depuis quelques décennies, les sociétés occidentales (riches, hauts niveaux de consommation, urbaines et éloignées de l’agriculture) posent des questions sur la place des animaux et sur la consommation de la viande :
– Peut-on élever des animaux et les tuer pour les manger ?
– Faut-il continuer à manger de la viande ?
« J’aime les animaux et je les mange », paradoxe pour certains mais réalité pour plus de 98 % des humains sur cette planète qui consomment des produits animaux : lait, viande, œufs, miel.
La chasse, la domestication des animaux, leur élevage et la consommation de leurs produits sont consubstantiels à l’Homme tout autant que la cueillette et la culture des végétaux.
La consommation de la viande n’est pas un accident ou une aberration de l’histoire de l’évolution de l’Homme et encore moins un caprice des classes aisées des sociétés occidentales. Et c’est de l’histoire ancienne, la lignée des hominidés qui a conduit à Homo Sapiens a rencontré la viande il y a plusieurs millions d’années. Une récente découverte en paléoanthropologie montre qu’entre 2,6 et 3 millions d’années avant notre ère, nos très lointains ancêtres découpaient des viandes d’hippopotames sur le site de Nyayanga près du lac Victoria. (Thomas Plummer et al dans « Science » 09/02/2023).
Il faut à nouveau expliquer cette réalité naturelle et universelle perçue aujourd’hui comme paradoxale par une minorité dans nos sociétés urbaines occidentales (les végans représentent 0,2% de la population).
La viande a contribué au développement de la lignée des hominidés et elle façonne nos modes de vie, nos cultures et notre rapport à la nature.
I. UN ATOUT POUR LA SANTÉ, LA NUTRITION ET LA GASTRONOMIE
Une observation objective des aliments utilisés par l’Homme pour se nourrir montre qu’il est :
– Un omnivore, généraliste et opportuniste : omnivore car son menu contient des végétaux (céréales, légumes, fruits) et des produits animaux ; généraliste il utilise la gamme la plus large de produits naturels, cultivés ou élevés ; opportuniste selon les ressources disponibles ou les conditions climatiques il adapte ses régimes : très carnés (viande, poisson) dans les régions froides, à dominante végétale dans les régions chaudes, etc.
Grâce au feu qu’il a su maitriser très tôt, l’Homme omnivore a largement augmenté la diversité des aliments et amélioré leur digestibilité. Et grâce à son art de la cuisson et de la cuisine il a amélioré les saveurs et le goût des aliments pour se donner du plaisir à manger.
Présente dans toutes les cuisines du monde, la viande est universelle et elle appartient au patrimoine gastronomique de l’humanité. Chaque pays peut mettre en avant un plat de viande emblématique de sa gastronomie : Bœuf de Kobé au Japon, canard laqué en Chine, poulet tandoori en Inde, colombo de porc créole, asado en Argentine, picanha au Brésil, bisteccha alla fiorentina en Italie, le T-bone aux USA, le rôti de bœuf (rosbeef) du dimanche en Angleterre, etc.
Comprenant la synergie et la complémentarité entre les différents aliments, l’Homme a associé dans des plats devenus traditionnels une céréale, un protéagineux et la viande :
– le couscous arabe (semoule, pois chiches et viande),
– la feijoada créole (riz, haricots et viande)
– le dal indien (riz, lentilles et viande pour les non végétariens)
– le chili con carne (maïs et tortilla, haricots rouges et viande hachée)
– etc.
Pourquoi rejeter la viande et la retirer de ces plats populaires, naturels et bon marché qui apportent au plus grand nombre les nutriments essentiels ? Au passage il faut souligner l’intelligence et le sens de l’observation de l’Homme pour avoir repéré ces équilibres nutritionnels bien avant que la science soit en mesure d’en confirmer le bien fondé. Et il faut s’en féliciter plutôt que s’en plaindre !
La viande est un aliment naturel, équilibré, très digestible, riche en protéines, en fer, en vitamines dont la B12. Il ne faut pas vouloir en faire soit un médicament soit un poison.
Elle est parfaitement tolérée par l’Homme et elle apporte du plaisir à la manger. Elle ne figure pas dans la liste des 14 allergènes (emballement du système immunitaire) à déclaration obligatoire et les cas d’intolérance (inconfort digestif) sont très rares.
Sa consommation « raisonnable » sur la base des recommandations du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) ne pose pas de problème de santé. Le CIRC recommande de ne pas dépasser le seuil de 500 gr de viande rouge cuite consommée par semaine, aujourd’hui 80% des consommateurs français sont en dessous de ce seuil.
En France comme dans la plupart des pays occidentaux, la consommation de viande de bœuf connait une baisse de l’ordre de 1% par an depuis deux décennies. Les sociétés occidentales riches ont saturé leurs besoins et leur envie de viande rouge alors que dans le même temps cette consommation augmente dans les pays en développement. En revanche les viandes de volailles en raison de leur prix bas, plus accessibles, voient leur consommation progresser dans tous les pays.
Les anti-viandes nous proposent de remplacer la viande par des ersatz à base d’ingrédients végétaux ou à base « de viande cellulaire » (culture de cellules). Pour l’heure les produits proposés parfois qualifiés de simili-viande sont à classer dans la catégorie des produits ultra-transformés avec plus de 10 ingrédients, additifs, colorants et conservateurs. La sécurité sanitaire de notre alimentation est à juste titre une préoccupation constante des autorités et des professionnels, que sait-on de l’impact de tels produits ultra-transformés sur la santé à long terme des consommateurs ?
L’acharnement des promoteurs des protéines végétales à utiliser les dénominations propres à la viande pour mettre en avant leurs produits : « steak, escalope, filet, saucisse, jambon, etc. » est la démonstration la plus évidente du fort capital de sympathie dont jouit la viande auprès du consommateur. S’ils étaient si sûrs de la qualité de leurs produits ils devraient sortir de l’univers de la viande et les qualifier simplement de végétaux ultra transformés.
Mais il est vrai que dans ce domaine tout est permis : on nous promet « la viande sans viande » sans conteste le plus bel oxymore de ce début de XXIème siècle
II. POUR UNE ÉTHIQUE DE L'ÉLEVAGE
L’élevage détruit la planète ?
Que l’élevage et surtout la viande soient plus particulièrement ciblés par l’équipe de la FAO dans son rapport de 2006 « Livestock’s Long Shadow (Steinfeld and al) » a surpris les éleveurs et tous les professionnels de la filière. Et les ruminants donc les bovins, donc la viande, ont été les premiers accusés en raison des rejets de méthane lors de la rumination. Une fonction biologique naturelle, véritable atout des ruminants, qui leur permet de valoriser l’herbe et les fourrages grossiers en lait et en viande devient un handicap.
Depuis 2006, les données ont pu être affinées et elles permettent de faire la part des choses et surtout elles révèlent la complexité pour mesurer les GES (gaz à effet de serre) dus à l’élevage et à chaque espèce.
Une compilation des données de la FAO, de l’INRAE et d’autres Instituts de recherche permet de dresser le tableau suivant :
– l’agriculture serait responsable de 18 à 20% des GES dont 6% pour les productions végétales et 13% pour les productions animales,
– sur ces 13%, les bovins lait et viande en représentent 8%
– les porcs et les volailles, 2,7%
– les autres espèces ovins, caprins, camélidés, rennes, etc., 2,3%.
Les herbivores ruminants transforment des végétaux non assimilables par l’homme en nutriments de qualité tel que le lait et la viande, ils valorisent les zones en herbe, ils participent à l’entretien de vastes territoires qui sont autant de puits de carbone et de réserves de biodiversité. Et parce qu’ils ruminent et qu’ils émettent du méthane on les accuse de détruire la planète !
Et il faut aussi mettre dans la balance le stockage du carbone par les prairies et le surfaces toujours en herbe, stockage qui disparaitrait si ces surfaces sont mises en culture. Le méthane émis par les ruminants est compensé pour moitié par le stockage du carbone par les prairies. Une raison de plus pour privilégier les systèmes d’élevage reposant sur le pâturage et le foin. Les productions animales tout comme les productions végétales se doivent de participer à la réduction des GES (CO2 et N2O, protoxyde d’azote) mais arrêter l’élevage des ruminants car il émet du méthane serait irrationnel et absurde, pour tout dire contre nature.
L’élevage affame la planète ?
Les données de la FAO sur la place de l’élevage et sa contribution à la nourriture de l’Homme (voir chiffres de la page 8) contredisent une telle affirmation. Le lait, les œufs, la viande sont des ressources alimentaires essentielles pour l’homme et l’élevage est pour ces populations un puissant outil de développement et de revenu.
La malnutrition a globalement diminué (FAO) malgré l’augmentation rapide de la population mondiale pour dépasser les 8 milliards aujourd’hui. On peut souligner la performance réalisée par les agriculteurs et par les éleveurs qui ont réussi à nourrir tous les jours 220 000 bouches nouvelles. Et tous les ans c’est environ 80 millions de convives soit une nouvelle Allemagne qui s’invite à table. Certes il y a encore des situations de famine et de malnutrition, mais ce n’est pas la ressource qui manque c’est souvent le résultat de conflits et de guerres, de mauvaise gouvernance et parfois de prix trop élevés de la ressource pour ces populations.
L’argument d’un gaspillage des ressources alimentaires par les animaux est souvent mis en avant. Et pour répondre aux besoins de la population mondiale en 2050, il faudrait sacrifier tout ou partie de l’élevage pour libérer des terres à consacrer à la production végétale.
Deux arguments sont à prendre en considération :
– 80% de l’alimentation des animaux est constitué d’aliments non consommables par l’homme : herbe, foin, paille pour les herbivores, nombreux sous-produits des filières végétales dont les tourteaux de soja, de colza, etc.
– Les animaux sont accusés d’être de mauvais transformateurs 2,5 kg de produits végétaux pour 1 kg de viande en volailles, 5,5 kg de produits végétaux pour 1 kg de viande bovine. Oui mais l’apport nutritionnel d’un kg de viande est bien supérieur à un kilo de produit végétaux surtout quand il s’agit d’herbe !
Aujourd’hui, la compétition pour l’utilisation des terres agricoles se déplace vers les productions non alimentaires telles que les biocarburants ou la biomasse pour les méthaniseurs.
L’agriculture et l’élevage ont pour vocation première la production des aliments pour nourrir la planète et les politiques publiques qui les accompagnent, telle la PAC, doivent conforter cette priorité.
La question de la « bien traitance » des animaux
Cette question est ancienne et elle a évolué dans le temps, passant de la protection des animaux au XIXème siècle avec la fondation des SPA (Sociétés Protectrices des Animaux) à la bien-traitance et aujourd’hui à une demande de bien-être pour les animaux. Être éleveur c’est d’abord prendre soin des animaux, les « soigner » selon l’expression usuelle et les actes de maltraitance en élevage, en transport, en abattoir intolérables doivent être condamnés.
Depuis un siècle, l’élevage, le transport et l’abattage des animaux se sont modernisés. Comme tous les autres secteurs de l’économie, les productions animales ont mis en œuvre les progrès et les techniques apportées par la science. Sans être exhaustif, des progrès certains ont été réalisé dans la qualité de l’alimentation des animaux, dans le confort des bâtiments et dans la santé des animaux. Et une meilleure santé animale est le gage d’une bonne sécurité sanitaire des aliments pour les consommateurs.
Cette modernisation de l‘élevage s’est aussi accompagnée d’un agrandissement des élevages et d’une intensification des techniques pour une plus grande productivité par animal et pour des conditions de travail des éleveurs améliorées. L’élevage s’est spécialisé notamment en porcs et en volailles et d’un élevage familial en polyculture élevage on est passé à un élevage hors-sol que l’on qualifie de façon exagérée d’élevage industriel.
De nombreuses directives et règlements européens sont venus donner de normes de bien-traitance à respecter en élevage, en transport, en abattoir. Et de nombreux cahiers des charges renforcent ces normes.
Dans le même temps, pour répondre à l’attente des consommateurs, les professionnels font évoluer leurs pratiques quant aux systèmes de contention, aux densités au sol et à l’accès à des parcours extérieurs.
Être agriculteur c’est travailler et produire avec le vivant, être éleveur c’est travailler avec un animal vivant, être sensible. Les éleveurs doivent donc être encore plus attentifs aux techniques de sélection, d’alimentation, de confinements qu’ils réservent aux animaux.
Pouvons-nous appeler à une réflexion d’ensemble sur ces sujets pour que les professions des productions animales anticipent et proposent à la société les contours de l’élevage de demain ?
III. UN PILIER ÉCONOMIQUE
Les activités d’élevage et des filières de commerce et de transformation des productions animales occupent une place prépondérante dans l’économie agricole.
Au niveau mondial, selon la FAO :
– Les filières animales représentent 60 % du PIB de la branche agriculture mondiale
– 18% de la population mondiale est engagée dans les filières animales soit environ 1,5 milliards d’humains,
– Plus d’un milliard d’éleveurs, souvent les plus pauvres tirent leur revenus et leur alimentation de l’élevage.
Dans les économies occidentales, la proportion des actifs travaillant dans l’élevage est bien moindre pour une part dans le PIB de la branche agricole assez proche :
En France, selon l’Insee :
– Les filières animales représentent 40% du PIB de la banche agriculture,
– Les productions de lait et celles de viande y contribuent à part égale
– 500 000 actifs travaillent dans les filières animales : 250 000 éleveurs et salariés agricoles et 250 000 salariés dans la transformation et la commercialisation soit 0,7% de la population française à comparer aux 18% au niveau mondial.
Mais au-delà de ces données globales qui soulignent l’importance économique de l’élevage (environ 50% de la branche agricole) il est nécessaire d’affiner l’analyse quant aux différentes espèces produites : bovins, ovins, porcins, volailles, etc. et quant aux différentes productions : lait, viande.
Tout d’abord quand on s’intéresse à l’élevage bovin il ne faut pas oublier que cet élevage est très majoritairement orienté vers la production de lait :
– au niveau mondial : 80% des bovins sont élevés pour produire du lait, la viande est un coproduit.
– l’Inde illustre parfaitement cette situation : premier cheptel bovin avec plus de 300 millions de têtes, toutes tournées vers la production de lait. Le pays le plus végétarien (43% de la population indienne est strictement végétarienne) est aussi parmi les pays qui exportent le plus de viande bovine (1,3 millions de tonnes).
– dans l’UE on trouve un ratio voisin : 70% de vaches laitières et 30% de vaches allaitantes (vaches qui allaitent leur veaux).
Il faut aussi prendre en compte la part de chaque espèce dans la production mondiale de viande :
– Viande de volailles : 135 millions de tonnes
– Viande porcine : 108 millions de tonnes
– Viande bovine : 70 millions de tonnes
– Viande ovines et caprines : 17 millions de tonnes
Et une analyse plus fine montre que ces productions sont inégalement réparties notamment en raison d’interdits religieux concernant le porc, mais également en raison de traditions alimentaires : l’Inde privilégie le lait et les œufs comme source de protéines animales alors que la Chine a choisi la viande porcine, ce pays concentrant à lui seul 40% de la production mondiale et 50% de la consommation mondiale.
Outre les produits animaux comestibles, l’élevage fournit bien d’autres ressources utiles à l’homme :
– La traction animale certes moins importante aujourd’hui mais encore utile dans l’agriculture de nombreux pays,
– Les effluents, fumiers et lisiers utilisés comme fertilisants notamment en agriculture biologique,
– Les cuirs et peaux, la laine, la soie,
– Les coproduits (graisses, sang, aponévroses, os, etc.) à usage alimentaire ou industriel,
– Les glandes, tissus et hormones naturelles (pancréas, vésicule biliaire, capsules surrénales, caillette des veaux,) à destination des laboratoires pharmaceutiques
Les recherches sur les greffes inter-espèces à partir de tissus ou d’organes prélevés sur les animaux ouvrent des perspectives intéressantes en médecine humaine.
« Supprimez l’élevage des animaux domestiques », « arrêtez de consommer de la viande » ces slogans des végans, des végétariens et des mouvements anti-viande se heurtent tout autant aux réalités économiques qu’aux habitudes de consommation actuelles.
CONCLUSION
Le message de l’Académie de la viande est : « vous pouvez manger de la viande ».
Nous refusons l’injonction des anti-viandes qui veulent réduire voire interdire l’élevage et la consommation de viande et qui nous disent : « vous devez arrêter de manger de la viande ». Nous ne leur dirons jamais : « vous devez manger de la viande ».
L’élevage, les productions animales occupent une place essentielle dans l’alimentation de l’Homme, une place importante dans l’économie agricole, Les questions posées par la société sur l’environnement, la faim dans le monde, la bien-traitance des animaux sont à considérer et les professionnels se doivent d’y répondre dans un débat plus apaisé.
D’un côté les consommateurs restent libres du choix de leur alimentation, de l’autre les professionnels des filières animales restent attentifs aux préoccupations de la société.