Je me souviens…

Je me souviens, on était donc en 1983. C’était encore l’hiver, une moche fin de journée à Paris. Mais on était tous là, dans cette brasserie rutilante où la bière moussait bien. Chaudieu avait autour de lui ses fidèles du Club pour la Qualité Française de la Viande. Au menu du jour : fonder une Académie de la viande, où des professionnels mais aussi des scientifiques, des journalistes et des écrivains viendraient enrichir, valoriser, donner du prestige aux différents aspects de notre filière, techniques, scientifiques mais aussi littéraires, artistiques et bien sûr gastronomiques.
La liste des fondateurs, des pères et mères fondateurs (ah ! les délices du pluriel neutre…) est connue. Le temps a hélas clairsemé les rangs des survivants de ce soir-là. Encore présents au sein de l’Académie d’aujourd’hui, nous ne sommes plus que trois. Trois ou quatre autres, qui se sont éloignés, pourraient aussi témoigner.
Je me souviens aussi d’une réunion émouvante de l’Académie à Grandpuits (77), dans la modeste demeure d’un Georges Chaudieu vieillissant, qui devait bientôt hélas nous quitter. En 1990, à l’âge de 91 ans, il dénouait son ultime tablier.
Je me souviens maintenant de Bernard Poulain, qui lui succéda. Un vétérinaire à la belle carrière administrative, un homme de science, fin gastronome et noctambule fraternel, aimant les contacts avec les journalistes et les artistes. Grâce à lui, l’Academie connut une notoriété croissante. J’eus l’honneur de lui succéder en 2006.
Je me souviens encore des joyeux salons de cette belle brasserie des Grands Boulevards, où régnait notre ami académicien Jean-François Blanc et où nous tînmes longtemps nos réunions et nos diners de travail.
Je me souviens aussi de ce très chic restaurant italien de l’avenue Georges V où, dans les mêmes conditions d’accueil, nous nous réunissions pour les séances de notre Dictionnaire, qui fût et reste le grand œuvre de notre académie. Nos sages et savants esprits s’enfiévraient alors de la juste définition des mots et des délices de vénérables barolos.
Et puis je me souviens de nos beaux déjeuners annuels où nous avions commencé d’accueillir les lauréats de nos Prix, dans le prestigieux établissement de notre ami académicien Alain Dutournier. Grands médecins comme le professeur Kahyat ; jeunes romancières comme Joy Sorman ou Catherine Veglio ; personnalités de référence comme Dominique Listel et Jocelyne Porcher ; glorieuse signatures de l’Académie française, comme Alain Finkielkraut et Erik Orsenna : la réputation de notre Prix est désormais bien établie et son attribution constitue un temps fort de l’année professionnelle.
Nous fêtons aujourd’hui nos 40 premières bougies. Bien sûr, il y en aura d’autres, beaucoup d’autres. Peut-être…Peut-être ne serons-nous pas tous là pour les 40 suivantes. Alors, que la petite nuée bleue qui montera des bougies que nous soufflerons tout à l’heure, s’élèvera jusqu’à l’empyrée, où sont nos grands anciens et nos amis disparus, pour leur dire toute notre reconnaissante et tendre amitié.
Là-haut, qu’ils tiennent en bon ordre et dans le faste leur céleste académie, nous les y rejoindrons un jour pour partager l’entrecôte du bon dieu… »